Réforme du système éducatif au Maroc
Un rituel dervichien
Abdessalam BENMAISSA
Chaire UNESCO de Philosophie, Université
Mohammed V-Agdal, Rabat, Maroc
Depuis l’indépendance, Les réformes du système éducatif au Maroc se
répètent et se ressemblent. Bien qu’elles coutent de plus en plus cher, le
niveau intellectuel des élèves et des étudiants marocains est de plus en plus
médiocre ; l’impact des réformes précédentes sur notre société est de plus
en plus négatif. Bref, réforme ou pas réforme, rien ne change, sauf en
pis. Il est temps de prendre conscience
que nous tournons en rond comme le font les derviches turcs en phase finale de
méditation (d’où la deuxième partie du titre de ce papier).
Aujourd’hui, grâce à la volonté royale (discours du 20 août 2012 et du 20
août 2013), le Maroc se prépare pour une nème réforme. Y a-t-il des
indices qui nous laissent croire, cette fois-ci, dans la réussite de la
réforme en cours?
Le but de ce papier est de porter des éléments de réponse à deux questions
principales : pourquoi les réformes précédentes ont elles échouées ?
Comment procéder pour apporter du nouveau et ne plus tourner en rond comme cela
était le cas depuis presque une cinquantaine d’années ? Nous verrons que
nos échecs précédents sont dûs, essentiellement, à des problèmes d’ordre
méthodologique.
Pourquoi une nouvelle réforme est elle nécessaire ? Parce que le monde
du XXIème siècle bouge à une vitesse vertigineuse. Le citoyen
marocain d’aujourd’hui se trouve confronté à des situations qui nécessitent
d’agir efficacement, prendre des décisions adaptés, trouver des solutions à des
conflits, faire face à des défis imposés par les exigences du monde moderne et
faire preuve d’imagination pour être plus compétitif que jamais. La leçon que
nous devrons tirer de cet état de fait est que le monde d’aujourd’hui nécessite
une formation adéquate, une capacité d’adaptation plus importante avec les
nouvelles réalités économiques, politiques, idéologiques, culturelles,
géostratégiques et bien d’autres. Les
responsables de l’éducation de chez nous sont appelés à prendre conscience de
l’importance des nouvelles exigences de ce monde perpétuellement changeant. Ils
n’ont plus droit à l’erreur ; ils n’ont plus droit au gaspillage humain
auquel nous assistons tous les ans dans nos écoles et nos universités ;
ils doivent mettre fin aux habitudes moyenâgeuses qui nous ont fourni des diplômés
sans compétences, sans qualification précise. Le peuple marocain n’a plus le
droit de s’offrir le luxe d’économiser l’effort de se prendre en charge, d’être
autonome intellectuellement. Le temps de compter sur l’exploitation primitive
de la nature est révolu. D’ailleurs, les ressources naturelles, même si elles
existent, tariront bien un jour. Nous ne pouvons plus laisser les choses au
hasard et se contenter de copier sur les autres, que ces autres soient
orientaux ou occidentaux. Bref, nous ne pouvons plus regarder le train du progrès
passer sans réagir ; nous ne pouvons plus l’ignorer parce que, disent
certains, il ne cadre pas avec les principes culturels importés d’Orient et que
nous considérons comme les nôtres ; nous ne pouvons pas, non plus, nous
isoler dans un coin
« tranquille », bien que cela ne soit plus possible aujourd’hui, en
contemplant le soleil tourner du levé
jusqu’au couché. Nous devons passer de l’âge de mineurs et d’assistés à
l’âge d’adultes et d’autonomes. Pour y arriver, rien de mieux qu’un
« bon » système éducatif. Nous verrons plus tard à quoi renvoi
exactement le terme « bon » dans cette expression.
J’aimerais, tout d’abord, rappeler à nos jeunes marocains ce que disait Le chanteur français Michel Sardou (né en 1947), dans une de ces
chansons diffusée le 31 octobre 1979, à propos du pétrole et des arabes
orientaux. Sardou disait : « Ils ont le pétrole […] on a des
idées ». Un chanteur marocain aurait dit aujourd’hui : « nous
n’avons ni pétrole ni idées ». Le fait de ne pas avoir de pétrole est un
phénomène naturel pour lequel nous n’y pouvons rien. En revanche, le fait de ne
pas avoir des idées, ou d’en avoir très peu, ou de mauvaise qualité, est un
phénomène socioculturel réversible.
A ce niveau d’analyse, deux prémisses peuvent être formulées :
- Il est vrai que nous, marocains, n’avons pas suffisamment, ou nous n’avons pas du tout, de pétrole ou, plus généralement, que nos ressources naturelles ne sont pas suffisantes pour booster notre économie et espérer vivre dans un environnement meilleur ;
- Pour remédier à cette situation, la seule option viable qui nous soit offerte consiste à développer nos compétences intellectuelles pour produire de nouvelles idées et améliorer, ainsi, notre capacité d’adaptation aux exigences du monde qui nous entoure. L’histoire des humains est pleine de cas de sociétés qui ont fait ce même raisonnement (Japon, Brésil, Suisse, Chine, Israël et bien d’autres).
La question qui se pose naturellement est tout simplement de savoir comment
peut-on procéder pour développer de nouvelles idées et les injecter dans notre
capital cognitif collectif? Notre développement économique, social,
culturel, militaire, politique et civilisationnel dépend de la réponse que nous
donnerons à cette question. Pour ma part, rien ne peut nous permettre d’avoir
de nouvelles idées, d’être créatifs, de contribuer au développement de notre
pays, qu’une « bonne » réforme de notre système éducatif.
La question qui se pose maintenant est de savoir en quoi consiste, au
juste, une bonne réforme du système éducatif et comment peut-on en
échafauder une qui conviendrait à nos besoins économiques, politiques et
culturels?
Pour ceux qui n’ont pas le temps, ou l’envi, de lire le reste de cet
article, je dis tout de suite ceci : une bonne réforme du système
éducatif, non seulement au Maroc, mais dans tout le reste des sociétés humaines
de ce monde, est celle qui vise à développer la pensée critique chez l’individu.
Autrement dit, comme cela a été prouvé par la grande majorité des experts de
l’éducation, l’avenir appartient à ceux qui maitrisent la pensée critique.
Qu’est ce que la pensée critique ? Pourquoi est-elle si importante ?
En quoi peut-elle changer notre approche au système éducatif de chez
nous ? C’est ce que nous tenterons de développer dans les pages qui
suivent. C’est ce type de questions qui nous préoccupent dans le cadre des
activités du Laboratoire de recherche en philosophie, adossé à la Chaire UNESCO de
« Philosophie et Pensée Critique » créée en 2010 au sein de l’Université
Mohammed V-Agdal, Rabat.
Je tenterai de proposer, non seulement de nouveaux ingrédients pour élaborer
une nouvelle réforme du système éducatif au Maroc, mais aussi, et surtout, de
réexaminer la manière avec laquelle on a toujours approché le problème de
l’éducation dans notre pays. C’est dans ce méta niveau que notre problématique
se situe. Après des tentatives interminables, des mesures aussi diverses
qu’inefficaces, des expériences aussi
pauvres les unes que les autres, il
s’est avéré que les approches adoptées jusqu’à présent sont dépourvues de
pertinence et, par conséquent, ne
peuvent pas permettre à notre pays et à nos concitoyens d’être compétitifs dans
un monde de plus en plus globalisé et de plus en plus exigeant en matière de
compétences individuelles et collectives. Le discours royal du 20 août 2012 à bien
mis le doit sur l’élément
manquant : la pensée critique. Nous avons besoin d’une réforme
méthodologique, et non pas idéologique, qui consisterait à intégrer dans le
système éducatif marocain, à tous les
niveaux, ce mode de pensée qu’on appelle communément « pensée critique ».
C’est une prise de conscience historique, pour la simple raison que la
déclaration ait été faite par la plus haute autorité du pays, Sa Majesté le Roi
Mohammed VI. Ce n’est donc pas une parole éphémère qui disparait avec la
disparition de son support, mais une
parole royale bien réfléchie et bien formulé pour durer.
Il n’est plus besoin de prouver que notre système éducatif actuel au Maroc
pose problème, tout le monde le sait et depuis longtemps, autrement il n’y
aurait pas eu toutes ces réformes, depuis, au moins, la fin du protectorat français.,
Nous devons, et le plus vite sera le
mieux, commencer par déterminer les dimensions du problème, de décrire l’état
des lieux, de préparer une alternative adéquate et, surtout, de rénover
notre approche méthodologique du problème. Dans cet article, je me limiterais à
la dernière tâche. Je tenterai de déterminer les préalables à la
conception d’une réforme éducative alternative. Pour cela, les responsables
sont invités à faire des choix
déterminants.
I. Le choix de la société que nous souhaitons
construire
Pour réformer sérieusement notre système
éducatif, nous somme tenus à esquisser, d’abord, le profil de la société dans laquelle
nous souhaitons vivre ? Qu’est ce que nous voulons être ? Quel chemin
devrons-nous emprunter pour améliorer notre présent et garantir notre
avenir ? Quelle place voulons-nous occuper dans la région et à l’échèle
internationale ? Quelle place souhaitons-nous que la religion occupe dans
notre quotidien ? Quel rôle doit-on accorder à la Raison dans le règlement
de nos affaires de tous les jours ? Quel degré de liberté individuelle devrons-nous toléré ? Pour répondre à ces questions
il va de soi que nous avons besoin de choisir des valeurs repères. Les valeurs choisies
détermineront l’orientation à venir de la société souhaitée ; ils baliseront
le chemin de l’avenir. Il est donc urgent d’élaborer un projet de société
qui indique là où on va pour les années à venir, mais qui ne soit pas, comme
cela été le cas jusqu’à présent, accès uniquement sur des souhaits et désirs personnels
de certains, ou sur des tendances idéologiques d’un parti politique au pouvoir,
ou encore sur des repères plus affectifs que rationnels. Autrement dit, avant
toute tentative de réforme, il est besoin de mettre à jour nos valeurs
culturelles héritées du Moyen Age. Les occidentaux l’ont fait depuis le
dix-huitième siècle en choisissant les valeurs des Lumières (laïcité,
démocratie, liberté, humanisme, etc.). Pour les marocains d’aujourd’hui, cette
démarche peut être simplifiée par le recours à notre nouvelle Constitution
(2011). Si l’on prend celle-ci comme référentiel de base, on aura
tout compris. A mon point de vue, nous devons finir, une fois pour toutes, avec
l’orientation idéologique à connotation moyenâgeuse importée d’ailleurs. Ce
type d’orientation a toujours contribué, et contribue toujours, à la
« sclérotisation »[1]
des mentalités et à la « zélotisation »[2]
des comportements. Elle fait appel à des pratiques qui relèvent de la dictature
et de l’exclusion à outrance. Notre premier devoir est de bannir ce type
d’orientation et d’échafauder une alternative qui sera fondé sur le modernisme et le
multiculturalisme avec toutes les valeurs qui vont avec, telles que la tolérance, la démocratie,
la laïcité, la rationalité, le pragmatisme, le relativisme moral et culturel,
etc. Bref, pour ne pas tourner en rond comme le font les derviches turcs, nous
devons changer de paradigme si l’on veut élaborer une « bonne » réforme éducative qui
convient à notre temps.
II. Le choix du profil de citoyen que nous
voulons former
Vu le contexte international dans lequel nous baignons actuellement, malgré
nous, le citoyen marocain est appelé à devenir un citoyen du monde, compétent
intellectuellement, compétitif professionnellement, capable de faire face aux
défis imposés par le climat de la globalisation et progresser à une
vitesse imposée par ce même climat. Il est donc impératif d’avoir cette
exigence en tête avant de concevoir les nouvelles orientations de l’éducation
nationale au Maroc. Dans un Maroc multiculturel, nouvelle Constitution oblige,
le citoyen marocain de demain doit avoir un esprit ouvert, tolérant, capable de
se protéger contre les agressions dogmatiques, respectueux des droits humains, multilingue,
créateur, capable de se frayer un chemin là où il n’y en a pas et, surtout, d’être
autonome intellectuellement.
III. Le choix des objectifs à atteindre
Puisqu’il ne faut rien laisser au hasard, tout projet qui se respect doit viser
des objectifs. Si l’on veut réussir la prochaine réforme éducative au Maroc, les
objectifs à atteindre doivent ressembler à ceux-ci :
- La mise à jour du mode de pensée des marocains de façon à ce qu’il soit adapté aux nouvelles exigences du monde moderne. Par conséquent, il impératif de passer progressivement de la pensée moyenâgeuse, fondée sur le bourrage de crâne et la dépendance intellectuelle, à la pensée critique fondée sur la rationalité, l’autonomie, et la créativité. Comme chacun sait, Les marocains ont acquis de mauvaises habitudes de penser sous l’influence de certaines cultures venant d’ailleurs, notamment d’Orient. Ils ont, surtout, cultivé les habitudes d’être assistés, résignés, paresseux intellectuellement, soumis et dépourvus d’autonomie intellectuelle. Aujourd’hui, nous avons besoin de cultiver une mentalité moderne, ouverte et évolutive qui vise plus de pragmatisme que d’idéologie, plus de réalisme que d’idéalisme, plus de rationalisme que de fidéisme.
2. La reconstruction de la personnalité psychosociale
du marocain moderne ; l’aider à être autonome dans sa pensée et dans ses
actes ; lui apprendre à être responsabilité pour qu’il puisse gérer correctement
sa liberté ; lui donner les moyens intellectuels nécessaires pour qu’il
puisse réussir sa vie professionnelle et personnelle ; lui permettre
d’être un citoyen actif capable de contribuer positivement à la gestion de sa
communauté, régionale et/ou nationale.
3. La revalorisation de la culture locale en la
considérant comme étant le noyau de la culture nationale. Le temps de l’aliénation
culturelle est révolu. L’aliénation culturelle entraine la perte de la
personnalité, la dépendance intellectuelle, la disparition des valeurs
socioculturelles locales, etc.
4. La diversification de nos ressources culturelles. La pensée unique fondée sur des valeurs importées
du Moyen Orient, ou même de l’Occident, ne correspond plus à notre réalité
globalisée. Sans tomber dans l’imitation aveugle ou l’aliénation
culturelle, nous devons puiser de nos origines africaines et ne pas hésiter à
reprendre des européens les idées qu’un certain Averroès leur a transmis depuis le XIIIème
siècle, telles que la laïcité, la tolérance, le respect de la femme, la rationalité, etc. La situation
géostratégique de notre pays nous impose le choix de ce multiculturalisme,
linguistique et confessionnel. Le rejeter sera un comportement contre nature.
- Pour avoir confiance en eux même et cultiver une personnalité forte, les marocains ont besoin de se réconcilier avec l’histoire ancienne de leur pays. Il est vraiment regrettable que l’histoire de notre pays soit amputée d’une vingtaine de siècles environ, pour des raisons purement idéologiques. Les égyptiens ont compris depuis longtemps, bien qu’ils aient les mêmes ingrédients culturels que nous. Ils ont même su exploiter la période antique de leur histoire comme ressource économique axée essentiellement sur le tourisme culturel et la recherche scientifique.
IV. Le choix d’une approche méthodologique
adéquate
Le premier souci que nous
devons avoir à l’esprit avant d’élaborer une approche méthodologique pour
réformer le système éducatif au Maroc réside dans la nécessité de sortir du
cercle vicieux qui produit inévitablement l’échec à chaque réforme. Pour cela,
il est besoin de rénover, d’introduire des éléments nouveaux qui n’ont jamais été exploités jusqu’à présent
et qui sont susceptible de réduire les facteurs de risque de l’échec au
minimum. C’est, justement, ce qu’a fait SM le Roi Mohammed VI dans son discours
diffusé le 20 août 2012 à l’occasion du 59ème anniversaire de la
Révolution du Roi et du Peuple. Sa Majesté, en évoquant la réforme du système
éducatif au Maroc, affirmait ceci :
« […] Dans
l'esprit de la réforme escomptée, il ne s'agit pas d'un changement de programme
ou de cursus, pas plus qu'il n'est question d'une discipline à ajouter ou à
retrancher. En effet, le but recherché consiste à opérer un changement au
niveau du dispositif de formation et des objectifs qui lui sont assignés, en
conférant un nouveau sens au travail de l'enseignant, lui permettant ainsi de
s'acquitter de la noble mission qui est la sienne. Il s'agit aussi de faire
passer l'école d'un espace organisé autour d'une logique axée essentiellement
sur le stockage en mémoire et l'accumulation des connaissances, à un lieu où
prévaut une logique vouée à la formation de l'esprit critique et la stimulation
de l'intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de
l'information et de la communication »[3]. L’esprit critique, ou la pensée critique, à notre avis, et selon presque tous
les spécialistes de l’éducation, est la
clé de l’avenir des peuples qui souhaitent changer, progresser et réussir.
La pensée critique permet, entre autres, de moderniser l’outil de travail,
l’outil de production des idées, à savoir la pensée. Par conséquent,
avant d’entreprendre l’élaboration d’une nouvelle réforme, nous avons besoin
d’une rupture méthodologique avec notre passé éducatif ; nous
avons besoin d’un changement de paradigme ; nous devons mettre fin aux
traditions moyenâgeuses et rentrer de plain pied dans la modernité sans modération
et sans perdre de notre identité. Jusqu’à ce jour, les responsables de
l’éducation au Maroc n’ont travaillé que sur l’approche idéologique. Ils
ont expérimenté, certes, quelques types d’approches
pédagogies, mais sans succès. Par contre,
Ils n’ont jamais abordé le problème du mode de penser.
La nouveauté que je propose
dans cet article consiste à intégrer la pensée critique dans notre système
éducatif en la considérant comme étant un prérequis fondamental à
toute opération pédagogique. C’est exactement ce qui a été proposé en France
par le philosophe René Descartes (1596-1650), depuis le XVIIème
siècle, et aux Etats Unis par John Dewey
(1859-1952) et William Graham Sumner
(1840-1910), depuis le début du XXème siècle.
En quoi consiste au juste la
« Pensée Critique » ?
Pour épargner au lecteur des détails qui
dépassent les besoins de cet article,
nous lui proposons la définition suivante, formulée en 1987 par le Conseil
National pour l’Excellence en Pensée Critique (USA) : « La Pensée
Critique est un processus intellectuel qui consiste à conceptualiser, analyser,
synthétiser et/ou évaluer les informations générées par l’observation,
l’expérience, la réflexion, le raisonnement ou la communication, en vue de
croire ou d’agir. Elle est fondée sur des valeurs intellectuelles universelles telles
que : la clarté, la précision, la consistance, la pertinence et
l’ouverture d’esprit » [Cf. criticalthinking.org].
Pourquoi la Pensée Critique est-elle si importante et
si indispensable à notre système éducatif ?
Parce qu’elle permet à la personne qui la pratique de :
- acquérir une autonomie intellectuelle, c’est-à-dire penser par soi et pour soi, autrement dit, garantir sa propre liberté de pensée, de croire et/ou d’agir ;
- formuler des concepts et examiner logiquement leurs sens et leurs valeurs ;
- élaborer des arguments articulés pour résoudre des problèmes et des conflits et pour défendre ses intérêts et ses droits ;
- prendre les décisions qu’il faut au moment où il faut ;
- améliorer ses capacités de communication ;
- être capable de participer efficacement à un débat quelle que soit sa nature (politique, académique, professionnel, etc.) ;
- mener efficacement des négociations, quel que soit le domaine d’activité ;
- mener des enquêtes de toute sorte : journalistiques, juridiques, policières, scientifiques, médicales, etc. ;
- Composer, lire, analyser et évaluer des discours ;
- être capable d’élaborer des stratégies, quel que soit le domaine d’activité ;
11. gérer efficacement une information : la
comprendre, l’interpréter, l’évaluer, l’exploiter;
12. développer un esprit ouvert : respecter
l’opinion de son interlocuteur, éviter le dogmatisme, cultiver le relativisme, oser
mettre en question ses propres idées en fonction des circonstances et de
l’évolution de la connaissance humaine ;
13. avoir l’esprit créatif ;
14. éviter l’aliénation intellectuelle, se méfier des idéologies destructrices, limiter
l’effet des discours malicieux, intercepter les idées ravageuses, reconnaitre
les démagogues mal intentionnés ;
15. contribuer à l’amélioration de la qualité de
l’opinion publique ;
16. contribuer à l’amélioration de la qualité de
la culture populaire ;
17. contribuer efficacement à la gestion de sa
communauté ;
18. savoir défendre ses droits et ses
intérêts ;
19. contribuer à la promotion de la diversité
culturelle, éviter la violence et développer une culture de tolérance et de
dialogue ;
20. Eviter d’être instrumentalisé, endoctriné,
aliéné, assisté, dominé, esclavagé, piégé par des rhéteurs mal intentionnés.
La pensée critique est le mode de pensée qui
convient à notre société telle qu’elle est faite aujourd’hui et telle qu’elle
doit se faire dans l’avenir. Notre nouvelle Constitution ne peut être appliquée
correctement et efficacement que si la pensée critique se trouve à la base de
notre culture populaire, comme cela était le cas dans les sociétés européennes,
par exemple, pendant la période des Lumières. C’est la culture des Lumières qui
a permis aux sociétés occidentales de se moderniser dans presque tous les
domaines. Grâce à la pensée critique, on peut démocratiser la pensée d’une
manière générale, au lieu que celle-ci soit monopolisée par une élite, de
gauche ou de droite, dogmatique ou non dogmatique. La pensée critique permettra
au citoyen marocain de développer sa liberté de pensée, de défendre ses droits
et ses intérêts, de réussir dans sa vie personnelle et professionnelle, d’être
un citoyen actif et positif, de participer efficacement au progrès et au bien
être de notre société.
Conclusion : la pensée critique comme prérequis à toute réforme
éducative
Comme on peut le constater, nous n’avons
abordé dans ce papier que les Préalables à une « bonne »
réforme du système éducatif. Ces préalables nous permettront de jalonner le chemin que nous, marocains,
devrons emprunter pour échafauder une réforme qui correspond à notre réalité
économique, sociale, politique et culturelle. Il n’est pas sérieux de prétendre
pouvoir élaborer une réforme du système éducatif sans un background
donné. Notre background à nous est bien déterminé dans notre nouvelle
Constitution. Une réforme qui ne respecte pas la Constitution du pays est hors
la loi. En plus de cet appel à la prise de conscience de l’importance des
préalables, nous avons introduit un élément nouveau, celui de la pensée
critique comme condition sine qua non à toute modernisation. Sa
nouveauté repose sur le fait qu’il n’ait
jamais été pris en compte dans l’élaboration des réformes précédentes. L’élément
nouveau en question réside dans la nécessité de changer de mode de pensée des
marocains en considérant cette démarche comme un prérequis à tout type d’apprentissage,
de formation ou d’éducation. Il est temps de se débarrasser d’une mentalité d’assistés, de mineurs
intellectuels, et adopter une mentalité qui garantit la dignité de l’homme et l’autonomie
intellectuelle du citoyen. La pensée critique est la clé de l’avenir.
C’est l’élément qui fera la différence entre l’éducation au Maroc et
l’éducation dans les pays de notre voisinage africain et méditerranéen.
En ce qui concerne la conception de nouveaux
programmes, l’amélioration du cadre de travail, l’approvisionnement en
ressources humaines et matérielles, le Ministère de l’Education Nationale est
si bien rodé dans ce domaine pour ne pas en parler du tout dans cet article. Le
plus difficile, à nos yeux, réside dans le choix de l’approche méthodologique
qui précède l’élaboration de la réforme. A note avis, la partie réservée à la
politique générale d’orientation, à ce que nous avons appelé
« Préalables », est plus délicate, car elle touche des sensibilités
idéologiques, culturelles, politiques, religieuses, linguistiques et autres. Il
a été prouvé, par les échecs des réformes
précédentes que le progrès ne se fait pas par des mesurettes
idéologiques (arabisation des matières scientifiques, promotion de l’éducation
islamique, par exemple) ou affectives, mais bien par des mesures rationnelles
et pragmatiques. Une fois les Préalables formulés, sur les bases indiquées
ci-dessus, la conception des programmes n’est, alors, qu’une affaire de
technicité.
Pour terminer, qu’une seule chose soit dite, au
XXIème siècle nous vivons dans un monde où il n’y a plus de place
pour les incompétents. Par conséquent, nous sommes appelés à être cohérents
avec notre temps, sinon, nous contribuerons, sans le savoir peut-être, et sans
aucun doute, à notre propre disparition. On ne peut pas se faire une place
respectable dans le monde d’aujourd’hui sans que nous soyons outillés
intellectuellement pour cela. Nous devons prendre conscience qu’il est temps de
mettre fin aux réformes qui déforment. Il est temps que les
marocains reprennent confiance en eux et retrouvent le chemin du progrès. Arrêtons
de dilapider la trésorerie de l’Etat pour s’autodétruire. Nous devons tous
avoir honte de notre école et de nos diplômés sans qualification
réelle ! Nourrissons plus de
réalisme, plus d’empirisme, plus de pragmatisme et plus de rationalisme au lieu
d’entretenir des positions idéologiques qui ne correspondent plus à nos besoins
sociaux, culturels, économiques et linguistiques. A bon entendeur salut !
Rabat, 14 mai 2014.
Abdessalam BENMAISSA
Chaire UNESCO de Philosophie (Maroc)
Professeur à l’Université Mohammed V-Agdal, Rabat
E-mail : benmaissa@fulbrightmail.org
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