17/07/2014

Réforme du système éducatif au Maroc: un rituel dervichien



Réforme du système éducatif au Maroc
Un rituel dervichien
Abdessalam BENMAISSA
Chaire UNESCO de Philosophie, Université Mohammed V-Agdal, Rabat, Maroc


Depuis l’indépendance, Les réformes du système éducatif au Maroc se répètent et se ressemblent. Bien qu’elles coutent de plus en plus cher, le niveau intellectuel des élèves et des étudiants marocains est de plus en plus médiocre ; l’impact des réformes précédentes sur notre société est de plus en plus négatif. Bref, réforme ou pas réforme, rien ne change, sauf en pis.  Il est temps de prendre conscience que nous tournons en rond comme le font les derviches turcs en phase finale de méditation (d’où la deuxième partie du titre de ce papier).
Aujourd’hui, grâce à la volonté royale (discours du 20 août 2012 et du 20 août 2013), le Maroc se prépare pour une nème réforme. Y a-t-il des indices qui nous laissent croire, cette fois-ci, dans la réussite de la réforme en cours?
Le but de ce papier est de porter des éléments de réponse à deux questions principales : pourquoi les réformes précédentes ont elles échouées ? Comment procéder pour apporter du nouveau et ne plus tourner en rond comme cela était le cas depuis presque une cinquantaine d’années ? Nous verrons que nos échecs précédents sont dûs, essentiellement, à des problèmes d’ordre méthodologique.
Pourquoi une nouvelle réforme est elle nécessaire ? Parce que le monde du XXIème siècle bouge à une vitesse vertigineuse. Le citoyen marocain d’aujourd’hui se trouve confronté à des situations qui nécessitent d’agir efficacement, prendre des décisions adaptés, trouver des solutions à des conflits, faire face à des défis imposés par les exigences du monde moderne et faire preuve d’imagination pour être plus compétitif que jamais. La leçon que nous devrons tirer de cet état de fait est que le monde d’aujourd’hui nécessite une formation adéquate, une capacité d’adaptation plus importante avec les nouvelles réalités économiques, politiques, idéologiques, culturelles, géostratégiques  et bien d’autres. Les responsables de l’éducation de chez nous sont appelés à prendre conscience de l’importance des nouvelles exigences de ce monde perpétuellement changeant. Ils n’ont plus droit à l’erreur ; ils n’ont plus droit au gaspillage humain auquel nous assistons tous les ans dans nos écoles et nos universités ; ils doivent mettre fin aux habitudes moyenâgeuses qui nous ont fourni des diplômés sans compétences, sans qualification précise. Le peuple marocain n’a plus le droit de s’offrir le luxe d’économiser l’effort de se prendre en charge, d’être autonome intellectuellement. Le temps de compter sur l’exploitation primitive de la nature est révolu. D’ailleurs, les ressources naturelles, même si elles existent, tariront bien un jour. Nous ne pouvons plus laisser les choses au hasard et se contenter de copier sur les autres, que ces autres soient orientaux ou occidentaux. Bref, nous ne pouvons plus regarder le train du progrès passer sans réagir ; nous ne pouvons plus l’ignorer parce que, disent certains, il ne cadre pas avec les principes culturels importés d’Orient et que nous considérons comme les nôtres ; nous ne pouvons pas, non plus, nous isoler  dans un coin « tranquille », bien que cela ne soit plus possible aujourd’hui, en contemplant le soleil tourner du levé  jusqu’au couché. Nous devons passer de l’âge de mineurs et d’assistés à l’âge d’adultes et d’autonomes. Pour y arriver, rien de mieux qu’un « bon » système éducatif. Nous verrons plus tard à quoi renvoi exactement le terme « bon » dans cette expression.

J’aimerais, tout d’abord, rappeler à nos jeunes marocains ce que  disait Le chanteur français Michel Sardou (né en 1947), dans une de ces chansons diffusée le 31 octobre 1979, à propos du pétrole et des arabes orientaux. Sardou disait : « Ils ont le pétrole […] on a des idées ». Un chanteur marocain aurait dit aujourd’hui : « nous n’avons ni pétrole ni idées ». Le fait de ne pas avoir de pétrole est un phénomène naturel pour lequel nous n’y pouvons rien. En revanche, le fait de ne pas avoir des idées, ou d’en avoir très peu, ou de mauvaise qualité, est un phénomène socioculturel réversible.

A ce niveau d’analyse, deux prémisses peuvent être formulées :
  1. Il est vrai que nous, marocains, n’avons pas suffisamment, ou nous n’avons pas du tout, de pétrole ou, plus généralement, que nos ressources naturelles ne sont pas suffisantes pour booster notre économie et espérer  vivre dans un environnement meilleur ;
  2. Pour remédier à cette situation, la seule option viable qui nous soit offerte consiste à  développer nos compétences intellectuelles  pour produire de nouvelles idées et améliorer, ainsi, notre capacité d’adaptation aux exigences du monde qui nous entoure. L’histoire des humains est pleine de cas de sociétés qui ont fait ce même raisonnement (Japon, Brésil,  Suisse, Chine, Israël et bien d’autres).

La question qui se pose naturellement est tout simplement de savoir comment peut-on procéder pour développer de nouvelles idées et les injecter dans notre capital cognitif collectif? Notre développement économique, social, culturel, militaire, politique et civilisationnel dépend de la réponse que nous donnerons à cette question. Pour ma part, rien ne peut nous permettre d’avoir de nouvelles idées, d’être créatifs, de contribuer au développement de notre pays, qu’une « bonne » réforme de notre système éducatif.

La question qui se pose maintenant est de savoir en quoi consiste, au juste, une bonne réforme du système éducatif et comment peut-on en échafauder une qui conviendrait à nos besoins économiques, politiques et culturels?

Pour ceux qui n’ont pas le temps, ou l’envi, de lire le reste de cet article, je dis tout de suite ceci : une bonne réforme du système éducatif, non seulement au Maroc, mais dans tout le reste des sociétés humaines de ce monde, est celle qui vise à développer la pensée critique chez l’individu. Autrement dit, comme cela a été prouvé par la grande majorité des experts de l’éducation, l’avenir appartient à ceux qui maitrisent la pensée critique. Qu’est ce que la pensée critique ? Pourquoi est-elle si importante ? En quoi peut-elle changer notre approche au système éducatif de chez nous ? C’est ce que nous tenterons de développer dans les pages qui suivent. C’est ce type de questions qui nous préoccupent dans le cadre des activités du Laboratoire de recherche en philosophie,  adossé à la Chaire UNESCO de « Philosophie et Pensée Critique » créée en 2010 au sein de l’Université Mohammed V-Agdal, Rabat.

Je tenterai de proposer, non seulement de nouveaux ingrédients pour élaborer une nouvelle réforme du système éducatif au Maroc, mais aussi, et surtout, de réexaminer la manière avec laquelle on a toujours approché le problème de l’éducation dans notre pays. C’est dans ce méta niveau que notre problématique se situe. Après des tentatives interminables, des mesures aussi diverses qu’inefficaces,  des expériences aussi pauvres les unes que les autres,  il s’est avéré que les approches adoptées jusqu’à présent sont dépourvues de pertinence et, par conséquent,  ne peuvent pas permettre à notre pays et à nos concitoyens d’être compétitifs dans un monde de plus en plus globalisé et de plus en plus exigeant en matière de compétences individuelles et collectives. Le discours royal du 20 août 2012 à bien mis le  doit sur l’élément manquant : la pensée critique. Nous avons besoin d’une réforme méthodologique, et non pas idéologique, qui consisterait à intégrer dans le système éducatif  marocain, à tous les niveaux, ce mode de pensée qu’on appelle communément « pensée critique ». C’est une prise de conscience historique, pour la simple raison que la déclaration ait été faite par la plus haute autorité du pays, Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Ce n’est donc pas une parole éphémère qui disparait avec la disparition de son support,  mais une parole royale bien réfléchie et bien formulé pour durer. 

Il n’est plus besoin de prouver que notre système éducatif actuel au Maroc pose problème, tout le monde le sait et depuis longtemps, autrement il n’y aurait pas eu toutes ces réformes, depuis, au moins, la fin du protectorat français.,  Nous devons, et le plus vite sera le mieux, commencer par déterminer les dimensions du problème, de décrire l’état des lieux, de préparer une alternative adéquate et, surtout,  de rénover notre approche méthodologique du problème. Dans cet article, je me limiterais à la dernière tâche. Je tenterai de déterminer les préalables à la conception d’une réforme éducative alternative. Pour cela, les responsables sont  invités à faire des choix déterminants.

I.    Le choix de la société que nous souhaitons construire 
Pour réformer sérieusement notre système éducatif, nous somme tenus à esquisser, d’abord, le profil de la société dans laquelle nous souhaitons vivre ? Qu’est ce que nous voulons être ? Quel chemin devrons-nous emprunter pour améliorer notre présent et garantir notre avenir ? Quelle place voulons-nous occuper dans la région et à l’échèle internationale ? Quelle place souhaitons-nous que la religion occupe dans notre quotidien ? Quel rôle doit-on accorder à la Raison dans le règlement de nos affaires de tous les jours ? Quel degré de liberté individuelle devrons-nous  toléré ? Pour répondre à ces questions il va de soi que nous avons besoin de choisir des valeurs repères. Les valeurs choisies détermineront l’orientation à venir de la société souhaitée ; ils baliseront le chemin de l’avenir. Il est donc urgent d’élaborer un projet de société qui indique là où on va pour les années à venir, mais qui ne soit pas, comme cela été le cas jusqu’à présent, accès uniquement sur des souhaits et désirs personnels de certains, ou sur des tendances idéologiques d’un parti politique au pouvoir, ou encore sur des repères plus affectifs que rationnels. Autrement dit, avant toute tentative de réforme, il est besoin de mettre à jour nos valeurs culturelles héritées du Moyen Age. Les occidentaux l’ont fait depuis le dix-huitième siècle en choisissant les valeurs des Lumières (laïcité, démocratie, liberté, humanisme, etc.). Pour les marocains d’aujourd’hui, cette démarche peut être simplifiée par le recours à notre nouvelle Constitution (2011). Si l’on prend celle-ci comme référentiel de base, on aura tout compris. A mon point de vue, nous devons finir, une fois pour toutes, avec l’orientation idéologique à connotation moyenâgeuse importée d’ailleurs. Ce type d’orientation a toujours contribué, et contribue toujours, à la « sclérotisation »[1] des mentalités et à la « zélotisation »[2] des comportements. Elle fait appel à des pratiques qui relèvent de la dictature et de l’exclusion à outrance. Notre premier devoir est de bannir ce type d’orientation et d’échafauder une alternative qui  sera fondé sur le modernisme et le multiculturalisme avec  toutes les valeurs  qui vont avec, telles que la tolérance, la démocratie, la laïcité, la rationalité, le pragmatisme, le relativisme moral et culturel, etc. Bref, pour ne pas tourner en rond comme le font les derviches turcs, nous devons changer de paradigme si l’on veut élaborer  une « bonne » réforme éducative qui convient à notre temps.

II.  Le choix du profil de citoyen que nous voulons former
Vu le contexte international dans lequel nous baignons actuellement, malgré nous, le citoyen marocain est appelé à devenir un citoyen du monde, compétent intellectuellement, compétitif professionnellement, capable de faire face aux défis imposés par le climat de la globalisation et progresser à une vitesse imposée par ce même climat. Il est donc impératif d’avoir cette exigence en tête avant de concevoir les nouvelles orientations de l’éducation nationale au Maroc. Dans un Maroc multiculturel, nouvelle Constitution oblige, le citoyen marocain de demain doit avoir un esprit ouvert, tolérant, capable de se protéger contre les agressions dogmatiques, respectueux des droits humains, multilingue, créateur, capable de se frayer un chemin là où il n’y en a pas et, surtout, d’être autonome intellectuellement.

III.    Le choix des objectifs à atteindre 
Puisqu’il ne faut rien laisser au hasard, tout projet qui se respect doit viser des objectifs. Si l’on veut réussir la prochaine réforme éducative au Maroc, les objectifs à atteindre doivent ressembler à ceux-ci :
  1. La mise à jour du mode de pensée des marocains de façon à ce qu’il soit adapté aux nouvelles exigences du monde moderne. Par conséquent, il impératif de passer progressivement de la pensée moyenâgeuse, fondée sur le bourrage de crâne et la dépendance intellectuelle, à la pensée critique  fondée sur la rationalité, l’autonomie, et la créativité. Comme chacun sait, Les marocains ont acquis de mauvaises habitudes de penser sous l’influence de certaines cultures venant d’ailleurs, notamment d’Orient. Ils ont, surtout, cultivé les habitudes d’être assistés, résignés, paresseux intellectuellement, soumis et dépourvus d’autonomie intellectuelle. Aujourd’hui, nous avons besoin de cultiver  une mentalité moderne, ouverte et évolutive  qui  vise plus de pragmatisme que d’idéologie, plus de réalisme que d’idéalisme, plus de rationalisme  que de fidéisme.
2.     La reconstruction de la personnalité psychosociale du marocain moderne ; l’aider à être autonome dans sa pensée et dans ses actes ; lui apprendre à être responsabilité pour qu’il puisse gérer correctement sa liberté ; lui donner les moyens intellectuels nécessaires pour qu’il puisse réussir sa vie professionnelle et personnelle ; lui permettre d’être un citoyen actif capable de contribuer positivement à la gestion de sa communauté, régionale et/ou nationale.
3.     La revalorisation de la culture locale en la considérant comme étant le noyau de la culture nationale. Le temps de l’aliénation culturelle est révolu. L’aliénation culturelle entraine la perte de la personnalité, la dépendance intellectuelle, la disparition des valeurs socioculturelles locales, etc.
4.     La diversification de nos ressources culturelles.  La pensée unique fondée sur des valeurs importées du Moyen Orient, ou même de l’Occident, ne correspond plus à notre réalité globalisée.  Sans tomber dans l’imitation aveugle ou l’aliénation culturelle, nous devons puiser de nos origines africaines et ne pas hésiter à reprendre des européens les idées qu’un certain Averroès  leur a transmis depuis le XIIIème siècle, telles que la laïcité, la tolérance, le respect de la femme,  la rationalité, etc. La situation géostratégique de notre pays nous impose le choix de ce multiculturalisme, linguistique et confessionnel. Le rejeter sera un comportement contre nature.    
  1. Pour avoir confiance en eux même et cultiver une personnalité forte, les marocains ont besoin de se réconcilier avec l’histoire ancienne de leur pays. Il est vraiment regrettable que l’histoire de notre pays soit amputée d’une vingtaine de siècles environ, pour des raisons purement idéologiques. Les égyptiens ont compris depuis longtemps, bien qu’ils aient les mêmes ingrédients culturels que nous. Ils ont même su exploiter la période antique de leur histoire comme ressource économique axée essentiellement sur le tourisme culturel et la recherche scientifique.   

IV.    Le choix d’une approche méthodologique adéquate
Le premier souci que nous devons avoir à l’esprit avant d’élaborer une approche méthodologique pour réformer le système éducatif au Maroc réside dans la nécessité de sortir du cercle vicieux qui produit inévitablement l’échec à chaque réforme. Pour cela, il est besoin de rénover, d’introduire des éléments nouveaux  qui n’ont jamais été exploités jusqu’à présent et qui sont susceptible de réduire les facteurs de risque de l’échec au minimum. C’est, justement, ce qu’a fait SM le Roi Mohammed VI dans son discours diffusé le 20 août 2012 à l’occasion du 59ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple. Sa Majesté, en évoquant la réforme du système éducatif au Maroc,  affirmait ceci : « […] Dans l'esprit de la réforme escomptée, il ne s'agit pas d'un changement de programme ou de cursus, pas plus qu'il n'est question d'une discipline à ajouter ou à retrancher. En effet, le but recherché consiste à opérer un changement au niveau du dispositif de formation et des objectifs qui lui sont assignés, en conférant un nouveau sens au travail de l'enseignant, lui permettant ainsi de s'acquitter de la noble mission qui est la sienne. Il s'agit aussi de faire passer l'école d'un espace organisé autour d'une logique axée essentiellement sur le stockage en mémoire et l'accumulation des connaissances, à un lieu où prévaut une logique vouée à la formation de l'esprit critique et la stimulation de l'intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de l'information et de la communication »[3]. L’esprit critique, ou la pensée critique, à notre avis, et selon presque tous les spécialistes de l’éducation,  est la clé de l’avenir des peuples qui souhaitent changer, progresser et réussir. La pensée critique permet, entre autres,  de moderniser l’outil de travail, l’outil de production des idées, à savoir la pensée. Par conséquent, avant d’entreprendre l’élaboration d’une nouvelle réforme, nous avons besoin d’une rupture méthodologique avec notre passé éducatif ; nous avons besoin d’un changement de paradigme ; nous devons mettre fin aux traditions moyenâgeuses et rentrer de plain pied dans la modernité sans modération et sans perdre de notre identité. Jusqu’à ce jour, les responsables de l’éducation au Maroc n’ont travaillé que sur l’approche idéologique. Ils ont expérimenté, certes, quelques  types d’approches pédagogies, mais sans succès. Par contre,  Ils n’ont jamais abordé le problème du mode de penser.

La nouveauté que je propose dans cet article consiste à intégrer la pensée critique dans notre système éducatif en la considérant comme étant un prérequis fondamental à toute opération pédagogique. C’est exactement ce qui a été proposé en France par le philosophe René Descartes (1596-1650), depuis le XVIIème siècle,  et aux Etats Unis par John Dewey (1859-1952) et   William Graham Sumner (1840-1910), depuis le début du XXème siècle.


En quoi consiste au juste la « Pensée Critique » ?
Pour épargner au lecteur des détails qui dépassent  les besoins de cet article, nous lui proposons la définition suivante, formulée en 1987 par le Conseil National pour l’Excellence en Pensée Critique (USA) : « La Pensée Critique est un processus intellectuel qui consiste à conceptualiser, analyser, synthétiser et/ou évaluer les informations générées par l’observation, l’expérience, la réflexion, le raisonnement ou la communication, en vue de croire ou d’agir. Elle est fondée sur des valeurs intellectuelles universelles telles que : la clarté, la précision, la consistance, la pertinence et l’ouverture d’esprit » [Cf. criticalthinking.org].

Pourquoi la Pensée Critique est-elle si importante et si indispensable à notre système éducatif ?
Parce qu’elle permet à la personne qui la pratique de :
  1. acquérir une autonomie intellectuelle, c’est-à-dire penser par soi et pour soi, autrement dit, garantir sa propre liberté de pensée, de croire et/ou d’agir ;
  2. formuler des concepts et examiner logiquement leurs sens et leurs valeurs ;
  3. élaborer  des arguments articulés pour résoudre des problèmes et des conflits et pour défendre ses intérêts et ses  droits ;
  4. prendre les décisions qu’il faut au moment où il  faut ;
  5. améliorer ses capacités de communication ;
  6. être capable de participer efficacement à un débat quelle que soit sa nature (politique, académique, professionnel, etc.) ;
  7. mener efficacement des négociations, quel que soit le domaine d’activité ;
  8. mener des enquêtes de toute sorte : journalistiques, juridiques, policières, scientifiques, médicales, etc. ;
  9. Composer, lire,  analyser et évaluer des discours ;
  10. être capable d’élaborer des stratégies, quel que soit le domaine d’activité ;
11.  gérer efficacement une information : la comprendre, l’interpréter, l’évaluer, l’exploiter;
12.  développer un esprit ouvert : respecter l’opinion de son interlocuteur, éviter le dogmatisme, cultiver le relativisme,  oser mettre en question ses propres idées en fonction des circonstances et de l’évolution de la connaissance humaine ;
13.  avoir l’esprit créatif ;
14.  éviter l’aliénation intellectuelle,  se méfier des idéologies destructrices, limiter l’effet des discours malicieux, intercepter les idées ravageuses, reconnaitre les démagogues mal intentionnés ;
15.  contribuer à l’amélioration de la qualité de l’opinion publique ;
16.  contribuer à l’amélioration de la qualité de la culture populaire ;
17.  contribuer efficacement à la gestion de sa communauté ;
18.  savoir défendre ses droits et ses intérêts ;
19.  contribuer à la promotion de la diversité culturelle, éviter la violence et développer une culture de tolérance et de dialogue ;
20.  Eviter d’être instrumentalisé, endoctriné, aliéné, assisté, dominé, esclavagé, piégé par des rhéteurs mal intentionnés.

La pensée critique est le mode de pensée qui convient à notre société telle qu’elle est faite aujourd’hui et telle qu’elle doit se faire dans l’avenir. Notre nouvelle Constitution ne peut être appliquée correctement et efficacement que si la pensée critique se trouve à la base de notre culture populaire, comme cela était le cas dans les sociétés européennes, par exemple, pendant la période des Lumières. C’est la culture des Lumières qui a permis aux sociétés occidentales de se moderniser dans presque tous les domaines. Grâce à la pensée critique, on peut démocratiser la pensée d’une manière générale, au lieu que celle-ci soit monopolisée par une élite, de gauche ou de droite, dogmatique ou non dogmatique. La pensée critique permettra au citoyen marocain de développer sa liberté de pensée, de défendre ses droits et ses intérêts, de réussir dans sa vie personnelle et professionnelle, d’être un citoyen actif et positif, de participer efficacement au progrès et au bien être de notre société.


Conclusion : la pensée critique comme prérequis à toute réforme éducative
Comme on peut le constater, nous n’avons abordé dans ce papier que les Préalables à une « bonne » réforme du système éducatif. Ces préalables nous permettront  de jalonner le chemin que nous, marocains, devrons emprunter pour échafauder une réforme qui correspond à notre réalité économique, sociale, politique et culturelle. Il n’est pas sérieux de prétendre pouvoir élaborer une réforme du système éducatif sans un background donné. Notre background à nous est bien déterminé dans notre nouvelle Constitution. Une réforme qui ne respecte pas la Constitution du pays est hors la loi. En plus de cet appel à la prise de conscience de l’importance des préalables, nous avons introduit un élément nouveau, celui de la pensée critique comme condition sine qua non à toute modernisation. Sa nouveauté repose sur  le fait qu’il n’ait jamais été pris en compte dans l’élaboration des réformes précédentes. L’élément nouveau en question réside dans la nécessité de changer de mode de pensée des marocains en considérant cette démarche comme un prérequis à tout type d’apprentissage, de formation ou d’éducation. Il est temps de se débarrasser  d’une mentalité d’assistés, de mineurs intellectuels, et adopter une mentalité qui garantit la dignité de l’homme et l’autonomie intellectuelle du citoyen. La pensée critique est la clé de l’avenir. C’est l’élément qui fera la différence entre l’éducation au Maroc et l’éducation dans les pays de notre voisinage africain et méditerranéen.

En ce qui concerne la conception de nouveaux programmes, l’amélioration du cadre de travail, l’approvisionnement en ressources humaines et matérielles, le Ministère de l’Education Nationale est si bien rodé dans ce domaine pour ne pas en parler du tout dans cet article. Le plus difficile, à nos yeux, réside dans le choix de l’approche méthodologique qui précède l’élaboration de la réforme. A note avis, la partie réservée à la politique générale d’orientation, à ce que nous avons appelé « Préalables », est plus délicate, car elle touche des sensibilités idéologiques, culturelles, politiques, religieuses, linguistiques et autres. Il a été prouvé, par les échecs des réformes  précédentes que le progrès ne se fait pas par des mesurettes idéologiques (arabisation des matières scientifiques, promotion de l’éducation islamique, par exemple) ou affectives, mais bien par des mesures rationnelles et pragmatiques. Une fois les Préalables formulés, sur les bases indiquées ci-dessus, la conception des programmes n’est, alors, qu’une affaire de technicité.

Pour terminer, qu’une seule chose soit dite, au XXIème siècle nous vivons dans un monde où il n’y a plus de place pour les incompétents. Par conséquent, nous sommes appelés à être cohérents avec notre temps, sinon, nous contribuerons, sans le savoir peut-être, et sans aucun doute, à notre propre disparition. On ne peut pas se faire une place respectable dans le monde d’aujourd’hui sans que nous soyons outillés intellectuellement pour cela. Nous devons prendre conscience qu’il est temps de mettre fin aux réformes qui déforment. Il est temps que les marocains reprennent confiance en eux et retrouvent le chemin du progrès. Arrêtons de dilapider la trésorerie de l’Etat pour s’autodétruire. Nous devons tous avoir honte de notre école et de nos diplômés sans qualification réelle !  Nourrissons plus de réalisme, plus d’empirisme, plus de pragmatisme et plus de rationalisme au lieu d’entretenir des positions idéologiques qui ne correspondent plus à nos besoins sociaux, culturels, économiques et linguistiques.  A bon entendeur salut !

Rabat, 14 mai 2014.

Abdessalam BENMAISSA
Chaire UNESCO de Philosophie (Maroc)
Professeur à l’Université Mohammed V-Agdal, Rabat



[1] Du verbe sclérotiser,  qui signifie durcissement (ici au sens figuré).
[2] De latin zelotes qui signifie « zélé ».
[3] Nous soulignons intentionnellement.

25/03/2014

A quoi peut servir la Pensée Critique?



A quoi peut servir la Pensée Critique ?


o   La pensée critique est un mode de pensée rationnelle, disciplinée et pratique. Elle permet à la personne de construire et évaluer correctement la validité d’un énoncé, d’un argument, d’une information et de prendre une décision pour croire ou ne pas croire, agir ou ne pas agir.
o   La pensée critique est une voie de libération des contraintes de la nature, de la société, des idéologies, de toute forme d’aliénation intellectuelle.                      
o   La pensée critique est un bouclier qui sert à se défendre et à se protéger contre les agressions idéologiques, les tentatives d’endoctrinement, les pièges du langage, les arguments fallacieux, l’aliénation intellectuelle, le dogmatisme, le fanatisme, les individus malveillants, les démagogues et les charlatans.
o   La pensée critique est un outil pour penser utilement et efficacement en vue de construire un dialoguer constructif, de résoudre des problèmes et des conflits sans violence, de prendre la bonne décision, de communiquer intelligemment en utilisant uniquement des mots et des arguments, d’analyser et évaluer les idées et les arguments des autres, de négocier, de persuader, de mener correctement une recherche empirique, de gérer une société, de participer à la gestion de la cité, de former une opinion pertinente, de vivre ensemble en paix, de réussir dans sa vie personnelle et professionnelle, etc.
o   La pensée critique est une modalité pédagogique qui consiste à apprendre comment penser efficacement et utilement pour mieux utiliser ses potentialités cognitives.
o   La pensée critique est une méthode qui permet d’améliorer la qualité de penser et d’agir de celui qui la pratique. La qualité de la pensée détermine la qualité de l’action.
o   La pensée critique est la condition sine qua non à l’édification d’une société moderne, ouverte, démocratique et juste.
o   La pensée critique est le type de pensée qui convient au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, un monde de plus en plus globalisé, de plus en plus rapide et de plus en plus exigeant en matière de compétences intellectuelles.