La réponse à cette question
dépend de la conception qu’on se fait de la philosophie. Si l’on adopte la conception
suivant laquelle la philosophie n’est rien d’autre qu’une activité
intellectuelle qui se limite à l’étude théorique des concepts généraux, sans se
soucier de leurs rapports à la réalité physique, sociale ou individuelle, alors
la philosophie appliquée n’est qu'une pure fantaisie.
Pourquoi cette tendance à vouloir
s’enfermer dans le théorique quand il s’agit de la philosophie ? L’histoire
de cette discipline, telle qu’elle est enseignée chez nous, en est pour quelque
chose. A travers cet enseignement, nous avons acquis des idées reçues sur le travail du philosophe. Un vrai
philosophe, selon ce point de vue, est celui qui arrive à élaborer un système d’idées,
bien consistant, sans avoir besoin de se référer à la réalité. Un philosophe
qui parle du concret n’est plus un philosophe, selon cette tendance. Cette
attitude me rappelle la polémique d’un autre temps sur les universaux et les
particuliers, sur l’objet de la connaissance chez Aristote et sur le mépris du
monde réel chez Platon. Si l’on tient compte de tous ces éléments, et de bien d’autres,
on comprendra pourquoi certains collègues hésitent à accorder à la philosophie
une tâche pratique.
Personnellement, je n’adhère pas à
ce point de vue et ce pour les raisons suivantes :
(1) D’abord, Aristote lui-même parlait d’une sagesse pratique depuis
presque 25 siècles, notamment dans son Ethique à Nicomaque (livre VI,
5). Cette sagesse pratique porte un nom, φρόνησις (Phronesis), prudence en français, « practical
wisdom » en anglais. Elle constitue
une branche de la philosophie à part entière. Pour s’en apercevoir, il suffit
de googler le mot « phronesis ».
(2) A l’opposé de ce point de vue classique, il existe d’autres
approches, plus récentes, qui considèrent l’acte de philosopher comme un
comportement, une action, une pensée qui se fait. C’est le point de vue de Kierkegaard et de
Wittgenstein, entre autres. Kierkegaard fonde la conception qu’il se fait de la
philosophie sur la notion de « réduplication ». Il avait raison, à mon avis, de dissocier Socrate
de Platon. Le premier pratique de la philosophie tandis que le second théorise
sur la philosophie. Kierkegaard critiquait la philosophie abstraite et
considérait les philosophies systématiques comme des « palais vides »
parce qu’elles sont coupées des réalités concrètes des hommes. Bref, la philosophie
selon Kierkegaard, ne peut être qu’une activité pratique. L’idée fut reprise
par Wittgenstein dans ses Investigations philosophique. Pour être utile,
je dirais même, "pour être vrai", la philosophie a besoin d’être
appliquée. Selon Wittgenstein, il temps qu’on abandonne le global pour le local
et l’abstrait pour le concret.
(3) Ajoutons à ces deux approches la démarche critique élaborée par
Cassirer. Selon lui, la philosophie doit s’occuper de la Société et de l’Homme,
c’est-à-dire de la politique, de la religion, de la morale, de l’entreprise, de
l’éducation et de la culture en générale.
(4) Par nature, la philosophie est une démarche critique, donc une
méthode, une façon de faire et non pas seulement, ou pas du tout, un discours
qui doit être vrai ou faux. Le développement de la Pensée Critique, depuis les
années 8O, a montré que la philosophie, en tant que démarche critique, peut s’introduire
dans n’importe quel domaine de l’activité humaine. Voila une autre façon de
parler de la philosophie appliquée.
Éléments de Bibliographie
sur la philosophie appliquée et la pensée critique
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