12/10/2012

Peut-on parler d'une philosophie appliquée?


La réponse à cette question dépend de la conception qu’on se fait de la philosophie. Si l’on adopte la conception suivant laquelle la philosophie n’est rien d’autre qu’une activité intellectuelle qui se limite à l’étude théorique des concepts généraux, sans se soucier de leurs rapports à la réalité physique, sociale ou individuelle, alors la philosophie appliquée n’est qu'une pure fantaisie.

Pourquoi cette tendance à vouloir s’enfermer dans le théorique quand il s’agit de la philosophie ? L’histoire de cette discipline, telle qu’elle est enseignée chez nous, en est pour quelque chose. A travers cet enseignement, nous avons acquis des idées reçues  sur le travail du philosophe. Un vrai philosophe, selon ce point de vue, est celui qui arrive à élaborer un système d’idées, bien consistant, sans avoir besoin de se référer à la réalité. Un philosophe qui parle du concret n’est plus un philosophe, selon cette tendance. Cette attitude me rappelle la polémique d’un autre temps sur les universaux et les particuliers, sur l’objet de la connaissance chez Aristote et sur le mépris du monde réel chez Platon. Si l’on tient compte de tous ces éléments, et de bien d’autres, on comprendra pourquoi certains collègues hésitent à accorder à la philosophie une tâche pratique.

Personnellement, je n’adhère pas à ce point de vue et ce pour les raisons suivantes :
(1)  D’abord, Aristote lui-même parlait d’une sagesse pratique depuis presque 25 siècles, notamment dans son Ethique à Nicomaque (livre VI, 5). Cette sagesse pratique porte un nom, φρόνησις (Phronesis), prudence en français, « practical wisdom » en anglais.  Elle constitue une branche de la philosophie à part entière. Pour s’en apercevoir, il suffit de googler le mot « phronesis ».  
(2)  A l’opposé de ce point de vue classique, il existe d’autres approches, plus récentes, qui considèrent l’acte de philosopher comme un comportement, une action, une pensée qui se fait.  C’est le point de vue de Kierkegaard et de Wittgenstein, entre autres. Kierkegaard fonde la conception qu’il se fait de la philosophie sur la notion de « réduplication ». Il  avait raison, à mon avis, de dissocier Socrate de Platon. Le premier pratique de la philosophie tandis que le second théorise sur la philosophie. Kierkegaard critiquait la philosophie abstraite et considérait les philosophies systématiques comme des « palais vides » parce qu’elles sont coupées des réalités concrètes des hommes. Bref, la philosophie selon Kierkegaard, ne peut être qu’une activité pratique. L’idée fut reprise par Wittgenstein dans ses Investigations philosophique. Pour être utile, je dirais même, "pour être vrai", la philosophie a besoin d’être appliquée. Selon Wittgenstein, il temps qu’on abandonne le global pour le local et l’abstrait pour le concret.
(3)  Ajoutons à ces deux approches la démarche critique élaborée par Cassirer. Selon lui, la philosophie doit s’occuper de la Société et de l’Homme, c’est-à-dire de la politique, de la religion, de la morale, de l’entreprise, de l’éducation et de la culture en générale.  
(4)  Par nature, la philosophie est une démarche critique, donc une méthode, une façon de faire et non pas seulement, ou pas du tout, un discours qui doit être vrai ou faux. Le développement de la Pensée Critique, depuis les années 8O, a montré que la philosophie, en tant que démarche critique, peut s’introduire dans n’importe quel domaine de l’activité humaine. Voila une autre façon de parler de la philosophie appliquée.
Éléments de Bibliographie  sur la philosophie appliquée et la pensée critique


1.   De Botton A. (1997), Comment Proust peut changer votre vie, Denoel,
2.   De Botton A. (2001), Les consolation de la philosophie, Mercure de France.
3.   Onfray Michel (2001), Antimanuel de philosophie, Bréal.
4.   Marinoff Lou (2000), Platon, pas Proza !  Editions logiques.
5.   Sabater Fernando (2000), Panser sa vie, Seuil.
6.   Droit Roger-Pol (1999), 101 expériences de philosophie quotidiennes, Odile Jacobe.
7.   Desnier Jean-Michel (1999), Réflexions sur la sagesse, Le Pommier.
8.   Hadot Pierre (1995), Qu’es ce que la philosophie antique, Gallimard. [Implorant]
9.   Foucault Michel (1984), Histoire de la sexualité. Vol. III [le Souci de Soi].
10.Descombes V. (2007), L’Ours et l’amateur des jardins, Seuil. [sur la philosophie pratique].
11.Renault Alain (directeur), Raison Pratique, publication biannuelle sur la philosophie.
12.Radden Jennifer  (1985 ), Madness and Reason, studies in applied philosophy, London: George Allen and Unwin.
13.Plato, Meno, [about the nature of philosophy and its methods]. http://www.gutenberg.org/etext/1643
14.Plato, Protagoras, [about the value and aims of philosophy]. http://classics.mit.edu/Plato/protagoras.html
15.Plato, Republic, [about the relationship between philosophical criticism and everyday life].
16.Wittgenstein L., Philosophical investigations, [about philosophizing].
17.Broad C.D. (1923), An Introduction to scientific thought, e-text: http://www.ditext.com/broad/st/st-intro.html
18.Broad C.D. (1925), Mind and its place in nature, e-text: http://www.ditext.com/broad/mpn/mpn-con.html
19.Ducasse Curt (1941), Philosophy as a science,  e-text: http://www.ditext.com/ducasse/duc-cont.html).
20.Rorty Richard, Objectivity, Relativism, and Truth: Philosophical Papers, Volume 1 (1990).
21.Rorty Richard, Contingency, Irony, and Solidarity (1989).
22.Mortimer Adler (1994), The Four Dimensions of philosophy, N. York, MacMillan. [Paperback].
23.Rescher Nicholas (2001), Philosophical reasoning: a study in the methodology of philosophizing. Blachwell.
24.Mill, John Stuart (2002), A System of Logic, University Press of the Pacific, Honolulu.
25.Mill, John Stuart (1863), Utilitarianism. Paperback, 2007.
26.Amossy R. (2000), L’Argumentation dans le discours : discours politique, littérature d’idées, fiction. Paris : Nathan.
27.Bouvier A. (1995), L’Argumentation philosophique : étude de sociologie cognitive. Paris : presses universitaires de France.
28.Simonet R. et Simonet J. (1999), Savoir argumenter : du dialogue au débat. Paris : Editions d’Organisation.
29.BOISVERT, Jacques (1999), La formation de la pensée critique, St-Laurent, ERPI.
30.Bowell, T., & Kemp, G. (2003). Critical Thinking: A Concise Guide. New York: Cambridge University Press. [electronic resource]
31.Fisher, A. (2001). Critical Thinking. New York: Cambridge University Press.
32.Harrison, A. F., & Bramson, R. M. (2002). The Art of Thinking. New York: Berley Trade.
33.Hughes, W. (2000). Critical Thinking: An Introduction to the Basic Skills. Peterborough, Ont: Broadview Press. [electronic resource]
34.Thomson, A. (2002). Critical Reasoning: A Practical Introduction. New York: Routledge. [electronic resource]
35.Robert Fogelin & Walter Sinnott-Armstrong (2004), Understanding Arguments: An Introduction to Informal Logic.


38.McPeck  John E. (1984), Critical Thinking and Education.
39.Amartya Sen (1999), Development as freedom.
40.Orlando Patterson (1991), Freedom in the making of western culture.
41.Richard Paul and Linda Elder (2001), Critical Thinking: Tools for Taking Charge of Your Learning and Your Life - 2nd Edition.
42.Nosich Gerald, (2005), learning to think things through: a guide to critical thinking across the curriculum.






                           





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire